14 avr. 2014

Transition des jeunes joueuses vers le haut-niveau & Différences avec l'Espagne et les USA par Jérôme Fournier, Coach en LF1 au Toulouse Metropole Basket



Suite à son passage du CFBB à la Ligue Féminine 1 avec le Toulouse Métropole Basket cet été, Jérome Fournier nous éclaire sur les difficultés rencontrées par les jeunes joueuses pour évoluer immédiatement dans le championnat pro féminin et sur les pistes possibles d'amélioration de la formation française. Il détaille ensuite les différences entre les équipes de France jeunes et les équipes nationales d'Espagne et des USA.
Jérôme est un perfectionniste Il demande une grande exigence à ses joueuses lors des entraînements et des matchs. Il essaie toujours de faire évoluer ses méthodes et son coaching. Merci à lui d'avoir répondu à mes questions en toute simplicité!
N'hésitez pas à partager l'article au plus grand nombre. 



Stevy : Salut Jérome, peux-tu te présenter rapidement s’il te plaît ?


Jérome : JEROME FOURNIER, 42 ans, Entraîneur National à la FFBB et Coach du Toulouse Métropole Basket, club qui évolue en LFB.
J’entraîne depuis l’âge de 16 ans, d’abord dans la région nantaise dont je suis originaire puis sur PARIS (Charenton le  pont).
Ensuite, je suis parti en RHONE ALPES pour exercer mon métier de cadre technique, responsable de la formation des cadres.
Je suis resté 4 ans dans cette magnifique région avant d’intégrer l’INSEP et de travailler au sein du CFBB.
Je suis resté presque 10 années dans le bois de Vincennes à travailler sur le secteur féminin.
Dix années exceptionnelles au contact de joueuses formidables et de techniciens remarquables.
Je suis également entraîneur des Equipes nationales de jeunes filles durant l’été (U16, U18, U19 et U20).
Depuis une saison, j’ai décidé de me lancer dans une autre aventure, celle de coach d’une équipe professionnelle au TOULOUSE METROPOLE BASKET.


Stevy: Tu es passé de la formation vers le haut niveau de jeunes joueuses au coaching dans un club professionnel. Quelles sont, selon toi, les principales difficultés rencontrées par les jeunes joueuses sortant du CFBB ou d’un centre de formation pour jouer tout de suite en LFB ?

Jérome : Je vais répondre à cette question exclusivement d’un point de vue technique.
Toutefois, je pourrais également passer par un autre prisme, psychologique par exemple….

Les principales difficultés sont liées à l’intensité optimale, l’engagement optimal et la vitesse optimale.

En effet, une jeune joueuse qui sort du CFBB ou d’un centre de formation a développé une intensité dans laquelle elle contrôle techniquement ce qu’elle exécute. En arrivant en LFB, elle doit augmenter intensité, engagement et vitesse sans perdre le contrôle technique.

D’autre part, ces jeunes joueuses doivent également se mettre au niveau quant à la prise de décision.

Lorsqu’elles évoluent au CFBB ou dans leur centre de formation, le timing des prises de décisions est moins « serré ». En arrivant en LFB, elles doivent synchroniser ces prises de décisions avec le jeu de manière plus pertinente. C’est la raison pour laquelle il leur faut anticiper davantage, comprendre les situations avec beaucoup plus d’acuité.

Enfin, le niveau défensif en LFB leur impose un investissement plus important que lorsqu’elles jouaient en LF2 ou NF1 avec leur centre de formation respectif.
 

Stevy : Que pourrait-on améliorer dans la formation en France pour permettre aux jeunes joueurs/joueuses d’être le plus rapidement possible opérationnels en Pro A ou en LFB voire au niveau européen ?

Jérome : Premièrement, je tiens à souligner que notre système même s’il est loin d’être parfait est d’une très grande qualité. Et lorsque je parle du système je pense à l’ensemble du process et de ses acteurs (clubs, comités, ligues, FFBB etc…).
Cette première remarque est importante car elle participe à l’idée que je me fais de la culture de la GAGNE. Cette culture passe par une ATTITUDE POSITIVE quant à la représentation que l’on a des choses.


Ensuite et pour répondre précisément à ta question, je pense que plusieurs axes d’amélioration doivent être envisagés :


1-     Développer maturité, sérénité et leadership chez les plus jeunes en développant très vite avec eux une relation de confiance et d’autonomie. Il s’agit en effet de les accompagner dans l’émergence et  l’expression de ces différentes ressources.

Les entraîneurs prennent souvent une place qui n’est pas adaptée dans la relation entraîneur/entraîné(e).


2-      Développer davantage le sens tactique et la culture du jeu à la fois en les sensibilisant au plus haut niveau et surtout en travaillant avec eux sur un principe pédagogique très simple :

PARTIR DU JEU, CONSIDÉRER LA TECHNIQUE COMME UN MOYEN AU SERVICE DU JEU, JOUER DANS TOUS LES SENS DU TERME.


3-      Ensuite pour être opérationnelle en LFB, PRO A et PRO B, les jeunes doivent passer du temps sur le terrain. Et plus loin, il faut leur donner des responsabilités sur le terrain.

Nous avons d’excellents jeunes qui ne jouent pas ou lorsqu’il joue, leur niveau de responsabilité ne les amène pas à se développer comme ils devraient.

Cette question de la responsabilité est le pallier supplémentaire pour s’exprimer au niveau international.

En effet, c’est une réelle différence avec les autres nations européennes. Leurs jeunes jouent davantage mais surtout ils jouent en assumant de réels responsabilités dans le jeu.



Stevy : Pour toi, la formation d’une joueuse doit-elle être différente de la formation d’un joueur ?

Jérôme : Je pense que la formation est une question très subjective. Donc elle doit être différente entre une joueuse et un joueur mais plus loin elle doit être différente entre les joueuses entre elles et les joueurs entre eux.
Individualiser la formation doit être aujourd’hui la préoccupation de tous les entraîneurs s’ils veulent développer leurs joueuses et leurs joueurs.

Il s’agit en effet de considérer chaque individu comme étant singulier et de développer chez lui toutes les ressources qu’il proposera.

La première règle que chaque entraîneur doit s’imposer est celle du respect de l’autodétermination de ses joueuses et joueurs. Trop souvent les entraîneurs s’identifient, se projettent, fantasment une réalité qui n’est pas celle de leur public. Je pense que la motivation doit venir exclusivement de la joueuse ou du joueur. L’entraîneur n’est là que pour les accompagner (la joueuse et sa motivation)


La seconde règle est de travailler principalement sur les points forts de son athlète. Plus l’athlète est jeune et plus le dosage doit être équilibré entre points forts et points à améliorer.

En revanche plus l’athlète devient expert et plus il s’agit de le renforcer dans ce qu’il maîtrise à la fois pour développer son expertise mais surtout améliorer sans cesse son niveau de confiance en soi.



Stevy : Si tu devais changer 3 points (technique ou tactique) que les entraîneurs ont l’habitude d’enseigner aux jeunes joueurs et que tu trouves aberrants, quels seraient ils ?

Jérôme : Si tu me permets Stevy, je vais répondre à cette question sans considérer que ce sont des enseignements aberrants mais plutôt dénués de sens.
Je m’interroge toujours sur la question du sens que l’on donne aux choses.


Par exemple, certains considèrent que l’enseignement de la défense de zone chez les jeunes (minimes) est un non sens.

Certains pensent (souvent les mêmes) qu’avec ce public il faut défendre tout terrain avec de grandes prises de risques (idée des prises à deux).

Pour ma part, je crois que pour développer une jeune basketteuse (ou un jeune basketteur), il faut la placer dans ces deux situations de manière équilibré (à l’entraînement notamment car en match cela dépend de l’adversaire).

En effet, ce sont deux situations que je considère comme des problèmes à résoudre.
D’autre part, sur le plan pédagogique, ces deux situations contribuent au développement offensif et défensif de la joueuse :
-          La zone car elle développe le tir, l’expression de la prise de décision sur le demi terrain et le contrôle des espace en défense
-    La défense tout terrain car elle permet le développement du contrôle technique sous pression, l’exploitation des surnombres suite aux ballons volés et l’agressivité défensive.

Toutefois, la situation défensive la plus intéressante au regard de ce qui se pratique au plus haut niveau reste la défense en fille à fille sans prise de risque démesurée.
C’est la raison pour laquelle je pense que c’est elle qui doit être enseignée en plus grande quantité chez la jeune joueuse afin d’installer très tôt des repères défensifs pertinents.
Zone, pressing et zone press devant être utilisées parcimonieusement…

Deuxième point, technique celui-là, il concerne le tir. Je pense que le tir en suspension n’est pas enseigné suffisamment dans le basket féminin.
En effet, de nombreuses joueuses possédant une bonne coordination se contente de tirer en extension ou pire de plein pied.
Je pense souvent qu’il s’agit d’abord d’une question d’engagement dans un geste technique.
Les entraîneurs doivent vérifier en permanence cet engagement afin que la joueuse s’investisse totalement physiquement dans son tir.

Troisième et dernier point l’enseignement des fondamentaux individuels offensifs doit se faire par et pour le jeu. Éviter les situations totalement décontextualisées ou la forme prend le pas sur le fond.
Partir du jeu (réduit ou global) et mettre du sens technique afin de répondre aux problèmes générés par le jeu.
Ensuite faire des allers retour avec des situations 1 contre 0 simplement pour répéter le geste technique en question.


Stevy : Tu es également coach sur les équipes de France jeunes l’été. Quelles différences principales (individuelles et/ou collectives) as-tu remarquées avec les équipes nationales d’Espagne et des USA par exemple ? A quoi sont liées ces différences ?

Jérôme : Tout d’abord, je vais répondre à cette question en pointant ce que nous faisons de bien par rapport à ces deux nations et qui nous permet aujourd’hui de les jouer dans les yeux (à certains moments seulement pour les USA).

Premièrement nous défendons avec une très grande agressivité, nous prenons les lignes de passe (deny) et nous contrôlons le rebond défensif aussi bien que ces deux nations voire mieux.
En attaque, nous jouons sur le demi terrain avec beaucoup de rigueur et de discipline ce qui nous permet de bien sélectionner nos tirs et surtout d’avoir un très bon contrôle du rebond offensif.
Les espagnoles quant à elles nous sont supérieures dans l’expression technique avec le ballon, leur aisance leur permet de créer du jeu quelque soit le poste et ainsi elles trouvent des passes et des tirs que nous ne trouvons pas.
Collectivement, les espagnoles évoluent sur des principes de jeu sans ballon dans lesquels la porteuse est toujours accompagnée dans le petit jeu, leur aisance avec la balle leur permettant de toujours trouver cette joueuse à proximité du ballon.
Les américaines nous sont supérieures au plan technique sur la qualité des passes. Leurs passes sont fortes, précises et d’une grande promptitude. En effet, elles ont cette capacité à attraper-passer quand nos joueuses ont besoin de placer le ballon au dessus de la tête pour prendre des infos puis ensuite décider. La force des américaines : L’ANTICIPATION.
Cela se traduit au plan collectif par un jeu rapide à 5 d’une très grande qualité. Ce jeu rapide est lié à ce niveau d’anticipation de très haut niveau.
De plus comme les espagnoles, elles ont cette capacité à enchaîner rebond-dribble alors que notre culture du jeu rapide est davantage lié à l'« outlet » (sortie de balle par la passe).
Ceci représente un enjeu important dans le développement de notre jeu.
Je crois que nous devons perfectionner notre jeu rapide en travaillant à la fois sur l’ANTICIPATION et le registre technique rebond-dribble.

Ces différences sont souvent culturelles.Elles sont liées à notre manière d’enseigner les choses.
C’est la raison pour laquelle il me semble que nous avons la possibilité de changer un certain nombre de choses pour nous améliorer. S’inspirer des américaines et des espagnoles constituent dès lors une démarche intéressante.
Cependant nous avons aussi le devoir de préserver et de renforcer nos points forts.
Le danger serait de considérer que l’herbe est plus verte ailleurs.
Notre culture basket a de nombreux atouts :
LA DEFENSE
LE REBOND OFFENSIF
LA DISCIPLINE SUR LE DEMI TERRAIN
L’ADRESSE
mettons les en avant.
A bon entendeur…



Stevy : Merci beaucoup pour tes réponses. As-tu quelque chose à ajouter pour finir ?


Jérôme : Tout d’abord te remercier Stevy pour ta sollicitation.
Ensuite te féliciter pour le travail réalisé sur ton blog.

Travail très riche, travail pertinent, travail partagé.

Bon vent pour la suite…





SF

3 commentaires:

  1. Interview très intéressante. J'avoue être un adepte de l'outlet mais j'ai observé que le rebond-dribble est + "naturel" chez les joueurs et que ça permet parfois effectivement de jouer très vite vers l'avant. Comment conjuguer les 2 ...

    RépondreSupprimer
  2. Super
    bon boulot stevy. Tres interessant

    RépondreSupprimer