Gregory Morata, Conseiller technique régional (CTR) dans la Ligue des Alpes, m'a fait le plaisir de répondre à quelques questions sur le mode de fonctionnement d'un pôle et sur la formation des jeunes joueurs en général. C'est peut être la première fois qu'un CTR explique comment il travaille et je pense que beaucoup de personnes ont besoin d'en apprendre plus.
Gregory est un entraîneur/formateur de grande classe. Il m'a beaucoup appris quand je l'ai côtoyé à la Saint-charles de Charenton avec Jérôme Fournier. Nous discutions beaucoup de la formation des jeunes joueurs. Il est très ouvert et ne reste pas enfermé dans un mode de pensée unique.
Bonne lecture à tous.
Stevy : Salut Grégory, peux-tu te présenter s’il te plaît ?
Grégory : J’ai 40 ans (né le 31 mars 1973 dans
les Alpes)
Fils de basketteuse et de rugbyman, le sport à
toujours été dans les discussions familiales.
J’ai connu 3
clubs comme joueur :
A.B.C Domène (de 1981 à 1993), E.S Saint Martin
d’Hères (de 1993 à 1995) et la Saint Charles de Charenton (de 1996 à 2002)…de
pré-nationale à nationale 3.
C.E.R.H.N de la ligue des Alpes de 1987 à 1989 sous
la direction de Jacques VERNEREY
Sélection régionale en 1988 et 1989, sélection de
zone en 1989.
J’ai commencé le coaching à 18 ans, ma motivation
était de rendre à mon club tout ce qu’il m’avait donné.
B.E.E.S 1er degré en 1995, B.E.E.S 2nd
degré en 2001
Responsable technique et pédagogique à la Saint
Charles de Charenton de 1998-2002.
Cadre Technique Fédéral à la ligue des Alpes de
2002 à 2005.
Conseiller Technique Régionale placé auprès de la
ligue des Alpes depuis 2005.
Adjoint auprès des équipes de
France féminines jeunes depuis 2009.
Stevy : Tu entraînes dans un pôle régional de basket-ball. Peux-tu
nous expliquer ton rôle au sein de ce pôle et en tant que CTR ?
Grégory : Je suis le
coordonnateur du pôle espoirs (pôle mixte sur le même site) sur le plan
administratif et pédagogique. Je suis l’interlocuteur avec les différents
partenaires du pôle espoirs tels que la Direction Régionale Jeunesse et Sport
de Lyon, la Fédération Française de Basketball, l’établissement scolaire de
Notre Dame des Victoires, le C.H.U de Grenoble, Tremplin Sport Formation
(l’établissement d’accueil et d’hébergement) etc.
Je m’occupe plus particulièrement
du secteur féminin avec mon fidèle collaborateur David TRUC-VALLET (C.T.F). Le
secteur masculin est encadré par mon collègue CTR (Yann JULIEN) et entraîné par
un des CTF de la ligue (Rémy POINAS).
Outre le suivi scolaire, la
programmation et l’entraînement, le pôle espoirs nécessite beaucoup de
disponibilités pour assurer le suivi des jeunes talents de la ligue :
relation avec les entraîneurs de clubs, relation avec les entraîneurs nationaux
et les entraîneurs des centres de formation (Suivi sportif, suivi scolaire, suivi
médical et le bien-être des jeunes).
Stevy : Comment se déroulent les détections pour entrer au
pôle ? Quels sont vos critères de détection des jeunes ? Faites vous
attention au niveau de maturité du joueur ?
Grégory : C’est un sujet qui
anime beaucoup nos réflexions. Nous avons pas mal exploré, expérimenté cette
thématique. Par exemple, nous faisions des journées de détection où nous
recevions beaucoup de candidatures et de candidats qui n’étaient pas forcément
du niveau ou qui ne correspondaient pas aux critères de détection.
Aujourd’hui, nous ciblons les
jeunes qui présentent des qualités pour aller vers le haut niveau. Ce repérage
se fait de 3 manières :
1-
la détection fait par les comités départementaux
sur les catégories U12-U13
2-
le réseau d’entraîneurs qui nous signale des
jeunes joueurs(ses) que nous évaluons par la suite
3-
les camps et les tournois (inter comités, inter
ligue) qui constituent la base du système de détection en France
Les critères sont divers et
variés, mais il y a une chose de sûre, c’est que parmi l’ensemble des qualités,
les habilités d’un joueur(se) de basket, la personne que nous sollicitons doit
posséder au moins UNE qualité qui sorte de la norme, comme la morphologie (très
grand gabarit), la technique, l’adresse, des qualités athlétiques, des qualités
mentales (détermination), etc.
Ce qui est important c’est
l’envie du jeune de rejoindre notre structure. Cela ne doit pas être le projet
des parents ou celui de l’entraîneur, mais bien le sien.
Si le jeune ne se sent pas prêt,
si la famille est trop présente dans le projet, nous ne forçons pas les choses
voir nous ne sollicitons pas l’enfant.
En ce qui concerne la maturité,
c’est peut être ce par quoi nous commençons notre réflexion lorsque nous
recrutons un jeune joueur. A quel stade de son épanouissement physique, physiologique
et psychologique en est-il ? Nous faisons bien la distinction entre les
joueurs opérationnels et les joueurs potentiels.
Stevy : Quel est votre objectif final quand un jeune entre au
pôle ?
Grégory : L’objectif "institutionnel" serait qu’il atteigne, à terme, le plus haut niveau, qu’il
participe au renouvellement de l’élite du basket français.
L’objectif que l’on s’est fixé
avec mes collègues est de guider le joueur dans son développement et
l’optimisation de SES qualités afin qu’il révèle SON meilleur niveau de
pratique. Et si celui-ci coïncide avec la pratique de haut niveau alors nous
sommes doublement récompensés.
Stevy : Quel est le planning type d’une semaine pour les jeunes
joueurs ?
Grégory :
Lundi : 1h.45 de séance + 1h. de
proprioception/gainage
Mardi : 1h.45 de séance + 1h. de préparation
physique
Mercredi : 2h.00 de séance / Match
Jeudi : 1h.45 de séance + 1h. de préparation
physique
Vendredi matin : 1h.30 de séance
Vendredi après-midi : séance club
Samedi : repos
Dimanche : match club (U15 élite ou U17)
Environ 12 d’entraînement en pôle espoirs.
Pour les blessés : un
protocole est mis en place « même blessé je m’entraîne » (je
m’entraîne autrement).
Stevy : Sur quels points mettez vous la priorité lors du passage
des joueurs au pôle ?
Grégory : Cela va peut être
te surprendre, mais la priorité est le plaisir et l’enthousiasme. Depuis un
certain temps, nous travaillons dans ce sens avec l’ensemble de l’équipe
d’encadrement. Pour pouvoir révéler, accompagner efficacement un jeune, nous
devons créer un cadre d’évolution serein et dynamique.
Le pôle espoirs est la première
marche vers l’accès au haut niveau. Notre objectif est de « planter »
des bases solides :
- Enthousiasme et plaisir
- Savoir s’entraîner
- Le goût de l’effort et l’engagement au sens
large (engagement physique et psychologique)
Pour le domaine spécifique de
l’activité, nous accompagnons les jeunes polistes sur un plan individuel
(technique individuelle, préparation physique). Nous prônons un basketball
total, où l’agressivité et la technique individuelle prennent tout leurs sens
dans le développement du jeune joueur.
Stevy : Est-ce que vous individualisez l’entraînement des joueurs
au pôle ?
Grégory :
L’individualisation est une préoccupation permanente. Nous sommes conscients
que chaque individu est différent, avec des qualités propres à chacun, des
motivations dissemblables.
Pour accompagner efficacement les
jeunes joueurs, nous avons une limite de moyens, notamment humain. Le Président
de la ligue est sensible au projet mené au niveau du pôle espoirs. Il nous
donne les moyens de bien fonctionner. Nous sommes 5 entraîneurs à intervenir
sur le pôle, dont un préparateur physique (20 heures/semaine) depuis cette
année.
Avoir des personnes ressources en
nombre permet de s’occuper de manière plus pertinente des joueurs et de
répondre efficacement à leur problématique individuelle.
Nous pouvons faire ainsi des
groupes de besoins, des groupes de niveau, par poste de jeu. Sur le plan
pédagogique cela rend l’organisation plus facile et plus efficiente.
Stevy : Au niveau physique, faites-vous un travail
spécifique ? Si oui, lequel ?
Grégory : Le travail physique
est incontournable à cet âge de la formation. Les jeunes sont en cours de
construction physique. De plus, la politique fédérale en matière de détection
des plus grands nous amène à accompagner des jeunes à la recherche d’un corps
qui change, qui se transforme.
Nous axons le travail physique principalement
autour de 5 axes :
-
Le développement autour de l’aérobie.
-
Le développement des gammes athlétiques (école
de course, école de sauts).
- La prophylaxie (prévention) car nous savons que
la pratique intensive génère des traumatismes.
-
Le développement physique harmonieux de la
personne (renforcement musculaire).
-
Le suivi quotidien des charges à l’effort
(R.P.E)
Stevy : Travaillez-vous en relation avec les entraîneurs des clubs
des joueurs ?
Grégory : La réforme du
championnat de France U15 élite, nous invite à encore plus collaborer avec les
entraîneurs de clubs. Les jeunes en pôle espoirs sont maintenant regroupés dans
deux entités clubs sur notre territoire.
La relation est de plusieurs
ordres :
-
Communiquer ce que nous faisons au pôle
(planification, contenus, charges d’entraînement)
-
Assurer une cohérence entre le projet de
formation du jeune et la compétition (poste de jeu, responsabilité dans le jeu).
-
Nous essayons d’avoir un même style de jeu (intentions,
priorités, etc.).
-
Relation pour un retour à la compétition des
joueurs en fin de ré-athlétisation.
Stevy : Que pourrait-on améliorer dans la formation en France sur
les catégories U13 et U15 selon toi ?
Grégory : Déjà, il faudrait
que les entraîneurs s’imprègnent du style de jeu « à la française »,
à savoir mettre la défense au cœur des préoccupations et sur le plan offensif,
accompagner la formation des jeunes joueurs en priorités. La formation physique
est aujourd’hui entrée dans notre culture d’entraînement mais pas encore
priorisée dans la formation des jeunes joueurs notamment au niveau des clubs.
Le problème c’est qu’il y a trop
d’avis divergent dans la façon d’aborder la formation dans ces catégories
malgré les directives techniques fédérales.
Un travail remarquable a été fait
pour valoriser le championnat de France U15 élite. Il est trop tôt pour en
tirer des conclusions. Je pense qu’il faut travailler sur nos championnats
régionaux pour offrir des championnats compétitifs et en cohérence avec l’effet
recherché, à savoir la progression de nos jeunes joueurs.
Nous devons travailler main dans
la main avec les arbitres pour que leur fonction d’animateur du jeu vienne
soutenir et aider la formation des jeunes joueurs.
Stevy : Si tu devais changer 1 ou 2 points (technique ou tactique)
que beaucoup d’entraîneurs de jeunes ont l’habitude de faire ou d’enseigner aux
jeunes joueurs, quels seraient ils ?
Grégory : Une question pas facile car
l’entraîneur est amené à faire des choix, des choix qui sont parfois discutables
car ils ne sont pas partagés ou qui s’éloignent de la formation du joueur.
Pour ma part, je conseillerais de
travailler davantage sur les intentions de jeu, avec des notions fortes telles
que l’agressivité, l’intensité, le dynamisme.
Sur le plan tactique, je prône un
« basket total » basé sur la recherche du jeu rapide en permanence et
la volonté de récupérer la balle le plus tôt possible (défense tout terrain).
Sur le plan technique, l’aisance
avec la balle (dans le dribble et la passe) et le tir sont toujours à
privilégier.
Stevy : Depuis plusieurs années, tu es également assistant sur les
équipes de France jeunes l’été (Champion d’Europe U18 et vice champion du Monde
U19 avec Jérôme Fournier). Que t’apportes cette expérience ?
Grégory: C’est une expérience
hors du commun, c’est une sorte de formation permanente. Le fait de rencontrer
des nations étrangères, des entraîneurs expérimentés, cela m’a permis de
développer d’autres compétences autour du métier d’entraîneur (entraîneur
adjoint) : l’analyse statistique et vidéo, rédiger des scouting report à
destination des joueuses, mieux comprendre les logiques internes des équipes
adverse (stratégies, intentions, etc.).
Le fait de participer à des
championnats du Monde ou d’Europe permet d’apprécier les différents styles de
jeu des autres équipes, d’avoir des éléments de réflexions sur le mode de
détection et les filières de formation des autres nations.
J’ai eu la chance de travailler
avec deux grands professionnels que sont Cathy MELAIN et Jérôme FOURNIER, deux
entraîneurs qui possèdent une éthique de travail hors norme, qui vivent basket,
qui mangent basket, qui dorment basket…et pour moi, aux travers des échanges
qui animent notre collaboration c’est juste ENORME, énorme de savoir-faire, de
savoir être, d’échanges de bonnes pratiques, etc.
Cette expérience, je la partage
avec mes collègues du pôle espoirs et cela nous permet de faire évoluer notre
structure d’entraînement années après années.
Stevy : Tu as été missionné par la FFBB avec d’autres entraîneurs
pour aller visiter le centre de formation du FC Barcelone Basket. Peux tu nous
décrire en quelques mots les principaux enseignements de cette mission ?
(si possible Greg sinon on peut faire un article sur ça ?)
Grégory : Le voyage d’étude à
Barcelone, a été organisé par l’Association des Cadres Techniques du Basketball
Français (ACTBF), en collaboration avec la Fédération Française de BasketBall.
Je suis parti avec 3 collègues
C.T.R, à savoir Yann JULIEN (CTR Alpes), Christophe EVANO (CTR Bretagne) et
Alban LEBIGOT (CTR Ile de France), pour cette immersion en terre catalane. Nous
avons visité la « masia », le centre de formation du Barça, nous
avons assisté à une dizaine d’entraînements et autant de matchs (Bardalone,
Mataro, etc.).
Nous avons aussi rencontré notre
homologue catalan (Xavier RODRIGUEZ TIERNO), qui nous a expliqué le
fonctionnement de la fédération autonome de Catalogne (ligue régionale chez
nous).
Ce qui m’a marqué, c’est la
philosophie de jeu appliquée chez toutes les jeunes catégories qui semble être
partagée par tous les entraîneurs : un basket simple et totale, basé sur
l’agressivité offensive et défensive. L’autre chose qui est remarquable, c’est
la bienveillance des entraîneurs envers les joueurs, ils sont dans l’accompagnement
et les encouragent à tenter des choses, même difficiles.
Concernant l’encadrement des
équipes de jeunes (toutes équipes confondues), il y a 2 entraîneurs et un
responsable d’équipe, soit 3 personnes par équipe. À partir d’U13, 3
entraînements hebdomadaires sont dans la normalité.
Durant notre voyage, nous avons
vu beaucoup de choses intéressantes (article à venir), nous avons toujours
essayé de relativiser par rapport à notre contexte, à notre culture.
Stevy : Tu as été un des premiers entraîneurs d’Evan Fournier lorsqu’il
était mini-poussin à Charenton le pont. Avais-tu remarqué son talent à
l’époque ? Est-ce qu’il se démarquait déjà des autres joueurs ? Si
oui, sur quels aspects ?
Grégory : A l’époque, il
était difficile de se projeter sur le devenir d’Evan, ce serait vous mentir. En
revanche, ce qui était remarquable, c’est qu’Evan venait toujours en avance à
l’entraînement, voir même au début de l’entraînement précédent, et il trainait
toujours pour partir. Il avait un ballon à la main en permanence. Evan essayait
de dribbler entre les jambes, dans le dos. Dès qu’un panier se libérait, il se
précipitait pour tirer et son grand truc c’était le lay-back…Il venait me voir
pour que je lui explique comment faire un lay-back.
En revanche, je ne suis pas
surpris de sa réussite sportive, je ne sais pas comment l’expliquer, mais Evan
avait un rapport à la pratique très fort hors du commun, il vivait basket.
Stevy : Merci beaucoup pour tes réponses. As-tu quelque chose à
ajouter pour finir ?
Grégory : Je tiens à te
féliciter pour tous les concepts, les contenus qui tu partages sur le net
autour de l’entraînement au sens large. Déjà lorsque nous étions coéquipiers à
la Saint Charles de Charenton, la rigueur, la précision t’animait… Je ne peux
que t’encourager à poursuivre ta contribution au monde du basketball. Merci de
m’avoir sollicité et je suis partant pour un article sur le basket en Catalone J
Merci à Grégory pour ses réponses et sa gentillesse. On attends l'article sur le basket en catalogne alors ;-)
SF